En 2014 en France, le secteur du bâtiment et des travaux publics a produit à lui seul près des deux tiers des déchets du pays. Cela représente plus de 211 millions de tonnes de matériaux (l’équivalent de 3 tonnes par habitant).
Ces reliquats sont issus des travaux de construction, de démolition et de déblaiement. On les qualifie d’« inertes » : ce sont des déchets minéraux qui ne se décomposent pas mais ne sont pas susceptibles de subir ou d’entraîner des réactions dangereuses pour l’environnement ou la santé.
Beaucoup de déchets non recyclés
Dans ce secteur, une grande part des déchets (23 %) est réutilisée directement pour les besoins des chantiers, comme les opérations de terrassement par exemple. Une autre partie (20 %) est envoyée vers des installations et plates-formes de recyclage. En résulte la production de granulats recyclés essentiellement réutilisés dans les travaux publics, pour la réalisation des sous-couches des chaussées notamment.
Le reste de ces déchets peut être utilisé pour la réhabilitation des carrières (14 %), remis à des collecteurs agrées (13 %), des déchetteries (7 %) ou encore envoyé directement dans des installations de stockage de déchets inertes (12 %) où des millions de tonnes de déchets inertes sont définitivement éliminés sans être valorisés.
Afin de répondre aux besoins des chantiers de construction tout en préservant les ressources naturelles, il devient indispensable de consolider les filières existantes, voire d’en créer de nouvelles qui permettront de mieux valoriser ces déchets et d’éviter leur enfouissement.
Réutiliser les granulats dans le béton
L’utilisation de ces déchets du bâtiment pour la fabrication de bétons est une voie intéressante qui permettrait de diversifier les voies de recyclage existantes.
Au cours des dernières années, l’utilisation de granulats recyclés comme matière première pour la fabrication de béton a fait l’objet de nombreux projets et travaux de recherche, notamment en France. Ils ont permis d’étudier les procédés de production, de traitement, de caractérisation des granulats recyclés, ainsi que les performances des nouveaux bétons contenant ces ressources secondaires.
Les normes ont aussi évolué, permettant d’incorporer dans certains bétons des granulats recyclés en proportions définies. Une norme autorise ainsi depuis 2014, jusqu’à 50 % de gravillons recyclés dans les bétons selon la classe d’exposition du béton et la qualité du granulat recyclé.
L’utilisation de ces gravillons présente toutefois certaines difficultés : des granulats en trop forte proportion, particulièrement poreux ou contenant des impuretés, affectent parfois les propriétés des bétons, modifiant leur maniabilité, leur résistance ou encore leur durabilité.
Le ciment, un autre moyen de valorisation
Pour ces granulats recyclés de moindre qualité, une voie alternative de recyclage a été développée : la fabrication du ciment Portland.
Mélangé à de l’eau, ce ciment est un liant hydraulique qui assure la cohésion des granulats contenus dans le béton. Ce ciment a été découvert il a près de 200 ans, notamment grâce aux travaux de l’ingénieur français Louis Vicat. La production annuelle de ce ciment s’élève actuellement en France à 16 millions de tonnes par an, et atteint plus de 4 milliards de tonnes à l’échelle mondiale.
Obtenu par cuisson de calcaire et d’argile à 1450°C, le ciment Portland est ainsi à l’origine de 5 % des émissions mondiales des gaz à effet de serre.
Afin de réduire cet impact environnemental, des combustibles de substitution (résidus d’huile, pneus, etc.) sont de plus en plus utilisés pour la cuisson du ciment Portland, en substitution des combustibles fossiles traditionnellement utilisés (charbon, coke de pétrole).
Dans les cimenteries, de nombreux matériaux alternatifs (sable de fonderie, terres polluées, etc.) sont aussi utilisés pour partiellement remplacer les matières premières traditionnelles (calcaire, marnes, etc.). Les granulats recyclés trouvent donc naturellement leur place dans ce processus de valorisation.
Renforcer la qualité des ciments recyclés
Dans dans ce contexte que le projet européen Seramco (Secondary Raw Materials for Concrete Precast Products) a été développé.
Il s’intéresse au recyclage des déchets de bonne qualité dans l’industrie des produits préfabriqués en béton – parpaings, dalles, blocs de coffrage – et à celui des produits de moindre qualité pour fabriquer du ciment.
Dans le cadre de ce projet, les chercheurs de l’Institut Jean Lamour travaillent sur la caractérisation chimique des matériaux recyclés ainsi que sur leur variabilité spatiale ou temporelle, afin de définir les conditions de synthèse optimale associées au taux d’incorporation et à la température de cuisson. Ces travaux sont menés en partenariat avec le cimentier Vicat, permettant ainsi la réalisation d’essais à l’échelle industrielle à la cimenterie de Créchy.
Les performances et la durabilité des ciments « recyclés » obtenus sont comparées à celles du ciment Portland traditionnel, à la fois en laboratoire et sur des produits types préfabriqués. En 2020, ces produits seront testés sur trois sites pilotes – Seraing en Belgique, Saarlouis en Allemagne et le long d’une route départementale de Moselle en France –, ce qui permettra de démontrer la viabilité de ces ressources secondaires pour la création de nouveaux éléments préfabriqués en béton.
Le projet Seramco permet au béton et aux déchets mixtes (brique, céramique, maçonnerie, etc.) d’être recyclés pour refaire du béton. Ainsi, les déchets du BTP peuvent-ils entrer dans les boucles vertueuses de l’économie circulaire.
Il faut rappeler qu’au-delà des bonnes pratiques permettant d’assurer la fiabilité des bétons et des ciments recyclés, l’utilisation des déchets du BTP dépendra fortement du contexte économique local – demande en granulats, disponibilité des ressources primaires (naturelles) et secondaires (recyclés) – mais également des politiques publiques mises en œuvre (marché public, fiscalité, etc.) et de l’acceptabilité sociale de ces produits.
Romain Trauchessec, Maître de conférences, chercheur à l’Institut Jean Lamour, Université de Lorraine
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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