Jacqueline van Maarsen l’a toujours caché. Elle ne voulait pas dévoiler qu’elle avait été la meilleure amie d’Anne Frank. Autant le journal d’Anne Frank montrait une jeune fille pleine de vie, autant en parler signifiait pour elle se rappeler de sa fin tragique ainsi que celle de ses oncles, de ses cousins, de ses cousines, et de la plupart de ses camarades de classe.
Après la seconde Guerre mondiale, Mme van Maarsen a sauvé ce qu’elle pouvait de sa vie et essayé de passer à autre chose. Elle a épousé un ami d’enfance, a eu trois enfants et travaillé comme relieuse à Amsterdam.
« J’ai demandé à mes enfants de ne pas dire à leurs camarades d’école que leur mère était l’amie d’Anne Frank ». « Si les gens l’avaient su, ils m’auraient posé sans cesse des questions », a-t-elle déclaré à Epoch Times.
La mention d’Anne Frank pouvait déclencher un déluge d’images inquiétantes dans son esprit : Anne sans cheveux mourant du typhus dans le camp de concentration de Bergen-Belsen ; ou encore ses jeunes cousins préférés se tordant lentement de douleur dans une chambre à gaz, dans le camp d’extermination de Sobibor.
« Je ne voulais pas y penser tout le temps ».
Jacqueline savait qu’elle ne serait pas en mesure de répondre aux questions sur Anne Frank en public, car elle pouvait à peine faire face aux questions d’Otto Frank, le père d’Anne Frank. Pour le père en deuil, Madame van Maarsen était le seul lien encore présent avec l’esprit d’Anne Frank.
Environ deux mois après que la Seconde Guerre mondiale eut pris fin, un Otto Frank émacié s’est présenté à la maison des Van Maarsen à Amsterdam.
« C’était si étrange de le voir après tout ce temps, et de le voir sans Anne ».
Otto Frank a fréquemment rendu visite à la jeune Jacqueline âgée de 16 ans pour parler de sa fille disparue. Il pleurait souvent et sans honte au cours de leurs discussions.
« Je ne voulais pas lui parler. Il était pénible. Mais ma mère m’a dit de continuer à le faire parce qu’il en avait vraiment besoin ».
« Je pense que pour lui, Anne était encore vivante dans mes souvenirs ».
Pendant le reste de sa vie, Otto Frank continuera à poser des questions à Jacqueline van Maarsen à propos d’Anne. Que ferait Anne Frank aujourd’hui si elle était encore en vie ? « Otto Frank me demandait toujours cela ». « Il m’a toujours posé cette question, mais à la vérité, je ne savais pas ».
Mme van Maarsen ne croyait pas qu’elle était quelqu’un de particulier. Il s’agissait seulement d’une amitié entre deux petites filles. Un accident, presque.
Depuis que le journal de son amie d’enfance était devenu un bestseller international, Madame van Maarsen a connu des remises en question sur son identité.
Devait-elle se faire connaître comme étant la meilleure amie d’Anne Frank pour le reste de sa vie, ou devait-elle vivre pour sa propre personne ? Ayant été la meilleure amie d’Anne Frank, quelles responsabilités cela impliquait-il ?
Ce sont des questions qui l’ont hantée tout au long de sa vie.Elle pensait souvent à leur première rencontre. Madame van Maarsen, à 86 ans, se souvient encore de la première fois où elle entendit la voix d’Anne Frank.
Jopie, le surnom donné par Anne
« Jacqueline ! » cria une voix derrière elle alors que Jacqueline roulait sur sa bicyclette le long de la digue Amstel à Amsterdam. Madame van Maarsen venait de terminer son premier jour à l’école pour enfants juifs et rentrait à la maison en vélo. C’était en septembre 1941. L’antisémitisme n’avait pas encore atteint son paroxysme aux Pays-Bas.
À 12 ans, Jacqueline n’avait pas encore réalisé que tout le monde dans sa nouvelle école était juif. Pour elle, une nouvelle école signifiait surtout de nouveaux amis.
Jacqueline van Maarsen se retourna. Une fille maigre avec d’épais cheveux noirs pédalait sauvagement pour la rattraper. « Vas-tu aussi dans cette direction ? », demanda la jeune fille se dirigeant vers le pont Berlage.
Jacqueline hocha la tête. « Nous rentrerons de l’école ensemble à partir de maintenant. Je vis sur la place Merwedeplein. Mon nom est Anne, Anne Frank », dit la jeune fille avec assurance.
Lors de ce premier trajet vers la maison, Anne Frank dit tout d’elle à Jacqueline. Qui étaient ses amis. Quelles filles elle aimait et celles qu’elle n’aimait pas. Jacqueline était très timide et elle aimait la « chutzpah » d’Anne Frank (l’insolence en yiddish).
Dans la première semaine de leur amitié, Anne Frank a considéré Jacqueline comme sa meilleure amie. « Je ne sais pas ce qu’elle a vu en moi ». « Elle parlait tout le temps et m’a raconté toute sa vie ». Elles savaient tout l’une de l’autre.
Jacqueline Van Maarsen passait la plupart de ses après-midi et de ses soirées à la maison d’Anne Frank. Elle échappait ainsi aux tensions chez elle entre sa mère chrétienne et son père juif. Sa mère voulait retirer ses enfants du registre juif d’Amsterdam. Son père désapprouvait.
Sa mère allait plus tard le faire quand même, et c’est ce qui a sauvé Jacqueline van Maarsen.
Pour éviter les disputes à la maison, Jacqueline van Maarsen rendait visite à Anne Frank pour des soirées cinéma. Depuis que les juifs étaient interdits dans les salles de cinéma, elles avaient créé des faux billets de cinéma réalisés sur la machine à écrire du père d’Anne.
« Nous avions des idées très similaires », déclare Jacqueline van Maarsen. Elles aimaient toutes les deux la lecture de Joop ter Heul , une série de fiction sur une adolescente énergique.
Lorsque Jacqueline van Maarsen lut plus tard le manuscrit du Journal d’Anne Frank, elle se rendit compte qu’elle l’avait écrit dans le même style que Joop ter Heul. Et Jopie, l’héroïne de la série, était le pseudonyme de Jacqueline van Maarsen dans le journal d’Anne Frank.
À 12 ans, les deux jeunes filles étaient inséparables. Elles aimaient les garçons et elles aimaient Shirley Temple, la petite actrice américaine. Elles s’inventaient des propositions de mariage comme dans leur livre préféré. Elles ont formé ainsi leur identité l’une autour de l’autre.
Il existe des moments où Jacqueline van Maarsen ne peut pas dire s’il s’agit de la mémoire de ses propres souvenirs ou si cela vient du Journal d’Anne Frank. Il y avait des choses qu’elle avait oubliées et dont elle s’est souvenue en lisant le journal.
Les lettres
Anne Frank lui avait tout dit, sauf qu’elle allait vivre dans la clandestinité en 1942. Elle a simplement demandé à Jacqueline une photo d’elle-même. Mais Jacqueline n’en avait pas et ne pensait pas qu’Anne en demandait une parce qu’elles n’allaient plus jamais se revoir.
La soudaine disparition d’Anne Frank a créé un vide chez elle. « Quand elle est partie, je me suis sentie tellement seule, parce que nous étions si proches ».
Anne Frank lui a écrit une lettre d’adieu, qui n’a jamais été livrée à Jacqueline parce qu’il était trop dangereux de poster des lettres quand on était dans la clandestinité.
« Je souhaite que nous restions toujours les meilleures amies, jusqu’à ce que nous nous revoyions », disait la lettre. Anne Frank avait copié la lettre dans son journal.
Anne Frank prétendait que Jacqueline van Maarsen lui avait répondu, alors elle avait écrit une deuxième lettre dans son journal, en disant qu’elle était heureuse d’entendre Jacqueline et lui demandant de ramasser ses livres, ses cahiers, et les jeux de sa vieille maison pour les garder en lieu sûr pour elle.
Jacqueline van Maarsen n’a pas eu connaissance de ces lettres jusqu’à ce que, après la guerre, Otto Frank lui montre
le journal. Il lui était trop pénible de lire le journal mais elle a mémorisé au fur et à mesure les lettres que sa meilleure amie lui avait écrites.
L’importance du message
À la fin des années 80, quatre décennies après la mort d’Anne Frank, Jacqueline van Maarsen a commencé à regretter sa réticence. Elle ne voulait pas que son identité soit rattachée à celle de sa meilleure amie, victime de l’Holocauste, même s’il en était ainsi.
Si garder la mémoire d’Anne Frank en vie pouvait jouer un petit rôle dans la prévention de futurs génocides, il était de son devoir de le faire. Elle a senti qu’Anne Frank, quelque part dans les cieux, voulait la voir en parler.
Au XXIe siècle, alors que des nettoyages ethniques et des persécutions religieuses continuent de se produire en Syrie, en République centrafricaine ou encore en Chine, Jacqueline van Maarsen a pensé qu’il était encore plus important pour les gens de connaître l’histoire d’Anne Frank.
Bien que l’Holocauste ait pris fin en 1945, le génocide cambodgien a eu lieu en 1975, le génocide rwandais en 1994, le génocide soudanais en 2003 et celui du Falun Gong continue encore d’avoir lieu dans la Chine d’aujourd’hui – pour n’en nommer que quelques uns.
« J’entends des histoires sur ce qui se passe dans le monde et cela me déprime ».
Depuis 1987, Jacqueline van Maarsen a voyagé dans différentes écoles en Allemagne et aux États-Unis pour tenir des conférences à propos d’Anne Frank. Elle a écrit quatre livres sur leur amitié et est apparue dans un documentaire sur Anne Frank réalisé en 2008.
Rattraper le temps perdu
Au son des airs de musique des Années folles joués dans le club de l’hôtel situé à Manhattan, Jacqueline van Maarsen, 86 ans, essaie difficilement de rester éveillée malgré le décalage horaire.
Fin mai, Jacqueline avait pris l’avion d’Amsterdam à New York pour prendre la parole lors du gala Jewish Values International, récompensant les valeurs de personnalités juives. Voyager est onéreux de nos jours et Jacqueline a eu une attaque l’année passé qui l’empêche de marcher normalement, mais rien ne l’arrête.
Elle pose les mains lentement sur son déambulateur et se redresse. Son mari, Ruud Sanders, qui a survécu à l’Holocauste en quittant ses parents à l’âge de
12 ans était aller se cacher dans une famille chrétienne dans l’est des Pays-Bas. Il tient le bras de son épouse pour la soutenir. Malgré les douleurs physiques, Jacqueline van Maarsen se déplace encore et donne autant d’interviews qu’elle le peut « pour rattraper le temps perdu ». Elle a participé à quasiment tous les événements publics auxquels elle a été conviée.
« Je suis étonné, je lui dis tout le temps qu’elle travaille trop dur. Elle devrait plus se reposer », dit son mari.
Elle était arrivée 15 minutes en retard à l’interview parce qu’elle s’était accidentellement assoupie dans sa chambre d’hôtel. Parfois, le couple se demande si leurs efforts sont utiles.
« Les gens peuvent comprendre d’après l’histoire d’Anne Frank à quel point la paix est importante », dit Sanders. « Mais je ne sais pas s’ils comprennent ».
« Voilà quelque chose qui me frappe beaucoup », a t-il ajouté. « L’humanité a fait des choses terribles pendant des milliers d’années. Chaque nouvelle génération espère que cela ne se reproduise pas. Malheureusement, nous voyons encore et encore que l’humanité ne change pas ».
Même si Jacqueline van Maarsen sait que ses seuls efforts ne suffiront pas à apporter la paix dans le monde, elle continue ses actions.
Chaque fois qu’elle est invitée à prendre la parole lors d’un événement ou à donner une interview, elle se demande si Anne voudrait qu’elle le fasse. La réponse est toujours oui.
Après tout, Anne Frank avait écrit dans son journal : « En dépit de tout, je crois toujours que les gens sont vraiment bons au fond de leur cœur ».
Article original : http://www.theepochtimes.com/n3/1379162-this-woman-was-anne-franks-best-friend-what-shes-doing-today-will-inspire-you/
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