Le conflit en cours au Soudan a fait surgir le spectre de la violence ethnique et des crimes contre l’humanité, ont averti mardi de hauts responsables de l’ONU. Le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, s’est dit profondément préoccupé par la dimension ethnique croissante du conflit et consterné par les informations faisant état de violences à grande échelle au Darfour.
Les combats entre les Forces armées soudanaises (SAF) et le groupe militaire rival des Forces de soutien rapide (RSF), qui ont éclaté à la mi-avril, ont fait des milliers de morts et de blessés, et déplacé plus d’un million de personnes.
Les communautés sont toujours confrontées à de graves pénuries de nourriture, à des difficultés d’accès aux fournitures médicales et à des restrictions de déplacement hors des zones de conflit, tandis que des allégations de violences sexuelles à l’encontre de femmes et de jeunes filles ont été formulées.
Profondément inquiétant
Le Représentant spécial des Nations Unies pour le Soudan, Volker Perthes, a déclaré que la sécurité, les droits de l’homme et la situation humanitaire continuaient à se détériorer rapidement dans tout le pays, en particulier dans l’agglomération de Khartoum, au Darfour et dans le Kordofan.
M. Perthes, qui dirige également la mission intégrée des Nations Unies pour la transition au Soudan (UNITAMS), s’est déclaré particulièrement alarmé par la situation à El Geneina, capitale du Darfour occidental, où la violence a pris une dimension ethnique.
« Alors que les Nations Unies continuent de recueillir des détails supplémentaires concernant ces rapports, on constate l’émergence d’un schéma d’attaques ciblées à grande échelle contre des civils sur la base de leur identité ethnique, qui auraient été commises par des milices arabes et certains hommes armés portant l’uniforme de la Force de soutien rapide (RSF). Ces rapports sont très inquiétants et, s’ils sont vérifiés, pourraient constituer des crimes contre l’humanité », a-t-il déclaré.
Il y a vingt ans, des milliers de personnes ont été tuées au Darfour et des millions d’autres ont été déplacées lors des combats entre les forces du gouvernement soudanais, soutenues tant par des milices alliées connues sous le nom de Janjaweed que par des groupes rebelles.
Documenter toutes les violations
M. Perthes a ajouté que les Nations Unies « condamnent avec la plus grande fermeté toutes les attaques contre les civils et les infrastructures civiles, quelle qu’en soit la forme et quels qu’en soient les auteurs présumés ».
Il a souligné que les forces de sécurité et les acteurs armés non étatiques devaient respecter le droit à la vie et s’abstenir d’attaquer les civils, conformément au droit international humanitaire.
« Bien que je sois encouragé par le fait que dans certaines zones, les communautés locales et les autorités de l’État ont pris des mesures proactives pour aider à la désescalade et à la médiation, il est important de s’assurer que toutes les violations sont documentées et protégées à des fins de responsabilisation », a-t-il déclaré.
L’UNITAMS poursuivra ses efforts pour surveiller la situation et s’engager auprès de toutes les parties pour parvenir à une résolution pacifique du conflit, en coordination avec les partenaires régionaux et internationaux.
Condamnation de l’expert en génocide
Entre-temps, Alice Wairimu Nderitu, conseillère spéciale des Nations Unies pour la prévention du génocide, a fermement condamné les combats en cours et le « mépris flagrant des parties pour les cessez-le-feu », a déclaré son bureau dans un communiqué.
Mme Nderitu s’est également déclarée gravement préoccupée par la reprise des combats dans la capitale, Khartoum, et notamment par les tirs de missiles ciblés contre deux quartiers dimanche, qui ont tué 18 personnes et en ont blessé beaucoup d’autres.
« Outre les violations des droits de l’homme et les abus commis à Khartoum, la conseillère spéciale est alarmée par les informations selon lesquelles le vide sécuritaire et le manque de protection dans plusieurs États ont été exploités par des groupes armés, y compris les Janjawids et d’autres groupes armés rebelles », indique la déclaration.
« Ces groupes auraient exercé des représailles contre des communautés ethniques en raison de leurs liens avec les principales parties au conflit, les forces armées soudanaises et les forces de sécurité soudanaises. Ces attaques, si elles sont confirmées, pourraient constituer des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ».
Rien ne justifie les représailles
La Conseillère spéciale a également mis en garde contre le risque de crimes de guerre au Darfour, où des centaines de personnes ont été tuées et blessées lors d’affrontements signalés entre des membres de différents groupes.
Des maisons ont été pillées et brûlées, et l’hôpital d’El Geneina a également été attaqué. Alors que les civils fuient les combats, les maisons abandonnées par les communautés Masalit ont été occupées par des communautés arabes, selon certaines informations.
Bien que les tensions entre les communautés ethniques ne soient pas nouvelles au Darfour, elles ne peuvent pas être utilisées pour justifier des représailles, selon la déclaration.
Craintes de guerre civile
« La violence dans l’ouest du Darfour est choquante. Si elle se poursuit, elle peut déboucher sur de nouvelles campagnes de viols, de meurtres et de nettoyage ethnique constituant des crimes d’atrocité », a averti la Conseillère spéciale.
Mme Nderitu craint que, si rien n’est fait, la violence et les affrontements intercommunautaires qui se produisent dans certaines régions du Soudan n’entraînent le pays tout entier dans une guerre civile, avec des risques élevés de crimes d’atrocité.
La Conseillère spéciale a souligné que les dirigeants des forces armées soudanaises et des forces de sécurité soudanaises ont la responsabilité de protéger les civils et de respecter les droits de l’homme et le droit humanitaire international.
Elle a également appelé à un cessez-le-feu urgent et consolidé, ainsi qu’à l’obligation de rendre compte des violations des droits de l’homme et des abus.
Le chef de l’ONU « très inquiet »
Le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, est « très préoccupé par la dimension ethnique croissante de la violence au Soudan, ainsi que par les rapports de violence sexuelle », a déclaré son porte-parole dans un communiqué publié plus tard dans la journée de mardi.
M. Guterres est profondément préoccupé par la situation au Darfour et consterné par les rapports faisant état de violences et de victimes à grande échelle dans toute la région, en particulier à El Geneina et dans d’autres zones, y compris la ville de Nyala au Darfour Sud, et à Kutum et El Fasher, situées au Darfour Nord.
Stéphane Dujarric, porte-parole de l’ONU, a déclaré que le Secrétaire général réitère son appel aux forces armées soudanaises et aux forces de sécurité soudanaises pour qu’elles cessent les combats et s’engagent à une cessation durable des hostilités. Il a également rappelé aux parties leur obligation de protéger les civils.
« Le Secrétaire général réaffirme l’engagement des Nations Unies à soutenir le peuple soudanais », a ajouté M. Dujarric.
« Alors que près de neuf millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire et d’une protection d’urgence au Darfour, il insiste sur la nécessité de mettre fin aux pillages et d’élargir l’accès pour que l’aide parvienne à ceux qui en ont le plus besoin ».
Le chef de l’ONU a également rendu hommage aux travailleurs humanitaires, en particulier aux partenaires locaux, qui risquent leur vie pour acheminer l’aide.
Plus de 2,1 millions de déplacés depuis le début du conflit
Pendant ce temps l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a signalé mercredi que le conflit entre militaires et paramilitaires soudanais a fait plus de 2,1 million de déplacés de force depuis le 15 avril dont 1,6 millions de déplacés internes.
« L’évaluation actuelle a permis d’observer le nombre de personnes déplacées dans l’ensemble des 18 États du Soudan », a détaillé l’OIM dans son dernier rapport de situation humanitaire.
Les proportions les plus élevées de personnes déplacées ont été observées dans les États du Darfour occidental (16%), du Nil fluvial (1%), du Nil blanc (13%) et du Nord (11%). La majorité des personnes déplacées quittent Khartoum (66%), le Darfour occidental (17%), le Darfour du Sud (9%), le Darfour central (6%), le Darfour du Nord, le Kordofan du Nord et les États d’Aj Jazirah.
La majorité des personnes déplacées (64,1%) ont fui vers les zones urbaines et plus de 76% des personnes déplacées ont cherché à s’abriter chez des proches ou dans des communautés hôtes.
Par ailleurs, les mouvements frontaliers continuent d’augmenter avec plus de 528.000 personnes qui ont fui vers les pays voisins, selon un décompte effectué le 4 juin dernier par l’OIM, le HCR et des sources gouvernementales.
Dans le même temps, 15.219 personnes se sont réfugiées en République centrafricaine et 1395 personnes en Libye depuis le début du conflit.
Face à cet afflux, l’OIM note que certaines décisions d’États tiers risquent d’avoir des conséquences sur les mouvements de populations.
« Au cours de la semaine dernière, des pays ont annoncé une modification des conditions d’entrée pour tous les ressortissants soudanais », a dit l’OIM.
C’est le cas du gouvernement égyptien, qui a annoncé qu’à partir du 10 juin 2023, tous les ressortissants soudanais, y compris les enfants, les femmes et les personnes âgées, devaient obtenir un visa d’entrée. Ils devaient être munis d’un passeport valide avant d’entrer en Égypte.
Plus largement, l’OIM estime que l’environnement opérationnel au Soudan et dans les pays voisins devient de plus en plus « complexe ».
Depuis le début de la crise, le nombre d’arrivées dans les pays voisins n’a cessé d’augmenter de semaine en semaine.
Une conférence de haut niveau ce lundi 19 juin à Genève
Alors que l’OIM et ses partenaires ont été en mesure de renforcer leur présence et leurs réponses aux principaux points frontaliers et dans les zones d’afflux, le financement reste limité par rapport aux besoins croissants des populations vulnérables arrivant dans les pays voisins.
La situation est encore aggravée par l’augmentation des coûts opérationnels, en particulier pour le transport ultérieur, en raison d’une combinaison de facteurs, y compris, mais sans s’y limiter, un environnement opérationnel difficile, l’éloignement des zones frontalières et le nombre croissant de personnes ayant besoin d’aide.
Sur le plan logistique, la prochaine saison des pluies, qui a commencé dans de nombreux pays, y compris le Soudan du Sud, le Tchad et la République centrafricaine (RCA), ajoute une nouvelle couche de complexité à la situation et pourrait restreindre l’accès à certaines de ces zones.
À noter que le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) organisera, lundi 19 juin à Genève, une conférence de haut niveau pour soutenir la réponse humanitaire au Soudan et dans la région. La rencontre est coorganisée par l’ONU, l’Égypte, l’Allemagne, le Qatar, l’Arabie Saoudite et l’Union européenne.
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