Conseil constitutionnel : pourquoi la nomination de Richard Ferrand fragiliserait l’État de droit ?

Par Germain de Lupiac
11 février 2025 16:41 Mis à jour: 11 février 2025 16:44

Emmanuel Macron a choisi Richard Ferrand pour succéder à Laurent Fabius à la tête du Conseil constitutionnel, a annoncé  l’Élysée dans un communiqué.

La proximité de l’ancien président de l’Assemblée nationale avec le chef de l’État soulève des questions sur la partialité du futur gardien de la Constitution. Richard Ferrand est, par exemple, favorable à un troisième mandat d’Emmanuel Macron et se verra hypothétiquement devoir trancher sur cette décision, si il était nommé à la tête de la haute autorité juridictionnelle.

Le choix d’Emmanuel Macron d’un fidèle de la première heure, d’un soutien de son accession au pouvoir, suscite des critiques tant dans la classe politique que parmi les juristes. Pour le constitutionnaliste Benjamin Morel sur X, « nommer Richard Ferrand, à l’image très abîmée dans l’opinion » ne ferait qu’ « affaiblir profondément le Conseil, dont on n’a jamais autant eu besoin ».

Richard Ferrand, ainsi que les deux autres candidats pressentis pour rejoindre la rue Montpensier, Laurence Vichnievsky, candidate de la présidente de l’Assemblée, et Philippe Bas, candidat du président du Sénat, doivent être auditionnés par les commissions des lois du Sénat et de l’Assemblée le 19 février.

Les commissaires pourraient s’opposer à ces nominations à condition d’atteindre la majorité des trois cinquièmes – ce qui semble difficile.

La nomination de Richard Ferrand au Conseil constitutionnel

Emmanuel Macron a proposé le 10 février de nommer l’ex-président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand, comme président du Conseil constitutionnel en remplacement de Laurent Fabius.

Cette nomination est d’autant plus sensible que personne dans la classe politique française ne se hasarde plus à exclure la possibilité de l’accession au pouvoir de Marine Le Pen en 2027, alors qu’elle risque une peine d’inéligibilité dans le procès des assistants parlementaires du RN.

Le Rassemblement national, comme la droite de Laurent Wauquiez, s’est aussi régulièrement montré critique de l’actuel juge constitutionnel, notamment quand celui-ci s’opposait à des propositions de loi de la droite votées à l’Assemblée.

Les réactions des politiques 

Le choix de Richard Ferrand sera « attendu au tournant » par le RN sur son indépendance d’esprit et devra lever des « doutes sérieux » sur ses « compétences » et son « impartialité » pour le PS.

Le profil de Richard Ferrand « ne s’intègre ni dans une exigence de compétence technique ni dans une impartialité, objective comme subjective, le plaçant au-dessus des contingences politiques », estiment pour leur part les universitaires Dominique Chagnollaud et Jules Lepoutre, dans une tribune au Monde.

Le 9 février, la porte-parole du RN Edwige Diaz a dénoncé « le monde du recasage et du recyclage des battus », rappelant que Richard Ferrand, président de l’Assemblée sortante, avait été battu aux législatives de 2022 dans le Finistère.

De leur côté, les députés communistes ont déposé une proposition de loi pour encadrer les nominations au Conseil. Il faut « en finir avec les nominations qui font polémique et le fragilisent », écrivent-ils.

La France insoumise a elle estimé que Richard Ferrand était un « très mauvais candidat ». La députée LFI Gabrielle Cathala a confirmé lors du point presse de son groupe que LFI voterait contre sa nomination, tout en reconnaissant qu’il serait « très difficile » de le « faire tomber », compte tenu de la majorité des trois cinquièmes requises. « Le Conseil constitutionnel ne peut pas être l’endroit où on recase ses amis », a estimé Manuel Bompard sur BFMTV.

Du côté de la gauche, le socialiste Olivier Faure sur Sud Radio a fait part de son « doute sérieux » sur « les compétences juridiques » et « l’impartialité » de Richard Ferrand : « C’est à lui maintenant de les lever et de dire quelles sont les garanties qu’il apporte », a-t-il jugé.

L’entourage de Macron défend le choix de « l’indépendance »

Richard Ferrand « coche quand même beaucoup de cases. Ancien président de l’Assemblée, comme Jean-Louis Debré, comme Fabius. Proche du président, comme cela se fait généralement. Politique, mais plutôt sorti du jeu », défend un chef de groupe à l’Assemblée, selon l’AFP.

Dans l’entourage d’Emmanuel Macron, on assure également que cette nomination est « dans la tradition de la Ve République » avec le choix d’un « législateur, ancien président de l’Assemblée connu pour son indépendance ».

Richard Ferrand devra pour sa part convaincre dans les deux chambres, une mission ardue à l’Assemblée où le camp macroniste est loin d’être majoritaire. « Il a quand même été un peu abîmé par les polémiques », souligne un député, rappelant l’affaire des Mutuelles de Bretagne qui lui avait coûté sa place au gouvernement en 2017, et pour laquelle il a obtenu un non-lieu au bénéfice de la prescription.

« C’est le candidat du président de la République, dans le contexte actuel c’est déjà une difficulté », estime une députée macroniste, pessimiste sur l’issue du vote.

L’État de droit est déjà « très fragilisé »

Pour le constitutionnaliste Benjamin Morel, Richard Ferrand « n’est pas un bon candidat » pour présider le Conseil constitutionnel, a-t-il estimé le 11 février, sur France Inter. « Il ne s’agit pas de critiquer la personne même de Richard Ferrand », précise-t-il, « le problème, c’est qu’on a un contexte global où il y a besoin d’un sentiment d’impartialité. »

Selon le constitutionnaliste, « l’État de droit n’a jamais été aussi faible, aussi attaqué » ajoutant que « pour qu’on croie collectivement dans l’État de droit, il faut que le juge donne le sentiment d’être impartial. »

Or, si un ancien proche du chef de l’État est nommé au Conseil constitutionnel quand il faut répondre à une question prioritaire de constitutionnalité – l’éligibilité ou l’inéligibilité de Marine Le Pen en 2027, « le risque c’est qu’une grande partie de l’opinion se dise que le problème, c’est l’État de droit et que c’est un instrument pour faire taire la démocratie ».

Le politologue explique que l’institution est très fragile et que choisir un profil avec une mauvaise image dans les médias et proche du président, instillera un doute plus profond dans l’opinion publique sur l’injustice de l’État de droit.

Le cas de l’inéligibilité de Marine Le Pen en 2027

Le Conseil constitutionnel, probablement sous la houlette de son nouveau président, aura dans les prochaines semaines à se prononcer sur un point délicat qui pourrait concerner la présidente du RN, Marine Le Pen.

La responsable politique pourrait être condamnée à une peine d’inéligibilité – ainsi qu’à cinq ans d’emprisonnement dont deux ferme et 300.000 euros d’amende. Se posera alors la question si elle peut être empêchée de se présenter à un scrutin, alors même qu’une procédure en appel pourrait annuler la sanction. Cette décision reviendra au Conseil constitutionnel.

Or, une peine de 5 ans d’inéligibilité avec exécution provisoire a été requise contre la responsable du premier parti de France, dans l’attente du jugement qui doit être rendu le 31 mars. De quoi entraver sérieusement les ambitions de Marine Le Pen pour la prochaine présidentielle et d’empêcher le choix démocratique des plus de 11 millions d’électeurs du RN, au lendemain du second tour des élections législatives de 2024.

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