Au cours des émeutes urbaines déclenchées après la mort du jeune Nahel, tué par un tir policier le 27 juin à Nanterre à la suite d’un refus d’obtempérer, les forces de l’ordre ont été fortement mises à contribution, d’une part pour contenir le tsunami de violences, de saccages et de pillages, mais aussi, d’autre part, pour traquer les délinquants responsables de ces exactions. Une deuxième partie de l’histoire de cette mobilisation policière d’ampleur moins connue.
Le bilan des émeutes s’était soldé par 3800 interpellations. À cette liste, arrêtée le 31 juillet dernier, se sont ajoutés 314 émeutiers, casseurs et incendiaires, dont la moyenne d’âge se situe entre 17 et 18 ans. Ces arrestations sont le fruit du travail conduit par les services d’investigations de la sécurité publique et de la police judiciaire, qui, à elle seule, a été missionnée pour mener plus de 170 enquêtes sur les faits de violences les plus graves.
Méthodes d’enquête et d’interpellation
« Dès les premiers jours, l’autorité judiciaire a ainsi saisi la PJ sur des événements emblématiques, qu’il s’agisse de destructions et d’incendies de mairies, d’attaques de locaux de police ou de pillages importants, voire de menaces ou d’agressions sur des élus, explique le contrôleur général Frédéric Laissy, chef du service de la communication de la police nationale au Figaro. Alors même que les dispositifs d’ordre public étaient encore maintenus à leur maximum, les premières interpellations étaient effectuées à domicile, souvent avec le concours de la BRI ou du Raid. »
Très tôt le matin, les unités spécialisées d’intervention ont investi des dizaines de domiciles à la recherche des voyous, permettant de cette façon, aux yeux de la Direction générale de la police nationale, de doucher leurs espoirs d’impunité. « Si le temps judiciaire est parfois considéré comme plus long, il faut bien constater que la mobilisation des services d’enquête a joué un rôle à la fois dans la dissuasion au moment des violences urbaines et dans la dissuasion à plus long terme, avec des interpellations et des incarcérations décidées par les tribunaux qui ont pu poursuivre sur la base d’investigations », assure-t-elle.
Pour retrouver la piste des délinquants, les experts ont examiné pierres, projectiles, armes de fortune, briquet, traces de sang retrouvés sur les champs de bataille. Autant d’indices soumis aux analyses. Le Service national de police scientifique basé à Écully a ainsi été sollicité sur 317 dossiers représentant près de 1800 scellés pour les affaires les plus importantes. « À côté de ces exploitations pour les affaires les plus sensibles, de très nombreuses saisines ont été assurées sur la base de constatations des services locaux de police scientifique », précise-t-on à la DGPN qui révèle un bilan de « 1700 interventions sur le terrain, lesquelles ont alimenté la cinquantaine de plateaux techniques de proximité mobilisés sur plusieurs milliers d’objets ».
En outre, les enquêteurs ont passé au crible les vidéos des « exploits » publiées par les fanfarons sur les réseaux sociaux, analysé les vidéos enregistrées par les caméras de surveillance, fait appel aux connaissances de la population locale et exploité les outils de géolocalisation.
Quelques exemples d’enquêtes
Le 5 juillet, la sûreté urbaine de Lille a mené une opération en partenariat avec le Raid pour appréhender une demi-douzaine de délinquants impliqués au cours de la deuxième soirée d’émeutes dans l’attaque contre un hôtel de la police municipale. Des interpellations rendues possibles par l’identification de l’ADN laissé par les assaillants sur les cocktails Molotov jetés sur le bâtiment. Dans l’attente d’un jugement prévu d’ici à la fin du mois, cinq des voyous ont été placés en détention provisoire ; un de leurs complices est actuellement recherché par les forces de l’ordre.
Dans le Rhône, les forces de l’ordre ont mis la main sur six des individus à l’origine, le 2 juillet, de l’incendie d’un immeuble d’habitation à Saint-Fons, privant 62 personnes de logement. La police a été en mesure de retrouver les responsables par l’exploitation des images de vidéosurveillance d’un commerce voisin, sur lesquelles apparait le premier suspect vêtu d’une tenue correspondant à celle d’une personne contrôlée peu auparavant par les agents. Lui et ses complices ont été placés derrière les barreaux avant le jugement.
À Niort (Deux-Sèvres), les policiers locaux ont mené plusieurs enquêtes de voisinage et analysé, là aussi, les bandes vidéo, leur permettant d’intercepter entre le 3 et le 12 juillet six des émeutiers qui avaient mis le centre-ville sens dessus dessous dans la nuit du 30 juin au 1er juillet en tendant des embuscades à la police, pillant des commerces et incendiant des voitures.
À Mons-en-Barœul (Nord), la BRI (antigang) est allée appréhender 11 jeunes « barbares » qui avaient pénétré au sein de la mairie le 29 juin à 0 h 30 pour y mettre le feu, bien que trois agents municipaux étaient pris au piège dans son enceinte. Pour parvenir à retrouver leurs traces, la police judiciaire s’est servie des traces de sang de l’un des assaillants blessés en brisant une vitre, d’une empreinte sur un véhicule épargné par l’incendie, de l’ADN sur un engin de mortier et des vidéos des « exploits » filmés par certains voyous. « Grâce à des constatations effectuées de manière très rigoureuse malgré la masse des indices relevés sur le terrain et à une forte mobilisation des laboratoires pour obtenir des résultats rapides, l’apport de police technique et scientifique a été décisif », indique le contrôleur général Frédéric Laissy, qui souligne : « Rien n’a été laissé au hasard. »
Envoyer un signal fort avant les JO
À ce jour, plusieurs dizaines d’émeutiers ont été interpellés. Une longue traque qui n’est pas encore achevée. Des rapports d’analyses sont encore attendus et le retour des fuyards, partis se cacher à l’étranger, notamment au Maghreb, est guetté de près par les policiers.
Quoi qu’il en soit, l’image de la France à l’étranger a été durement entachée par ces émeutes urbaines, dont la presse internationale s’est largement fait l’écho. Pour rassurer l’opinion publique avant le coup d’envoi des Jeux olympiques en juillet 2024, période au cours de laquelle les yeux du monde entier seront rivés sur la France, le ministre de l’Intérieur veut montrer les muscles. Dans un courrier du 2 août adressé au préfet de police de Paris ainsi qu’aux patrons de la police et de la gendarmerie, Gérald Darmanin a ainsi demandé de « mobiliser l’ensemble des moyens nécessaires au suivi des individus et groupes d’individus ciblés comme ayant été à l’origine des actions violentes lors des émeutes ». « Ce point, insiste Gérald Darmanin, doit constituer l’une de vos priorités tout au long de ces prochains mois. » Les services de renseignements sont enjoints à « renforcer, dès à présent, leurs dispositifs d’anticipation de ce type d’événement ». Reste à savoir si les prévenus seront condamnés par la justice, régulièrement accusée de laxisme par la police, de manière à prévenir la récidive.
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