Pour le premier ministre désigné Justin Trudeau, remporter l’élection était peut-être l’étape la plus facile à franchir. Il doit maintenant satisfaire les attentes qu’il a créées, entre autres, la promesse d’apporter davantage de transparence au gouvernement, ce qui s’oppose à l’héritage légué par son père.
Le caractère et la ténacité du jeune Trudeau seront mis à rude épreuve. Il devra aller à l’encontre de ses intérêts de premier ministre pour abandonner certains pouvoirs décisionnels que ses prédécesseurs ont accumulés au sein du Cabinet du Premier ministre.
L’ex-premier ministre Pierre Elliott Trudeau a contribué de manière importante à cette tendance en centralisant la prise de décision dans son cabinet et au sein d’agences comme le Bureau du Conseil privé et le Conseil du Trésor.
Les premiers ministres qui ont suivi ont accentué cette tendance. La promesse de Jean Chrétien de voter sur le Protocole de Kyoto en 2002 a été perçue comme un moment décisif, puisque M. Chrétien n’avait pas consulté son propre cabinet au sujet de la décision d’impliquer le Canada dans l’accord international.
Les changements sous Stephen Harper concernaient surtout le contrôle de l’information et la relation avec la tribune de la presse parlementaire. Alors que ces changements étaient plus superficiels que les gestes de centralisation précédents, ils ont été particulièrement visibles et critiqués par la presse parlementaire.
La centralisation peut permettre au gouvernement d’être plus efficace et donner aux premiers ministres la capacité de remplir leur mandat. Toutefois, pour ceux qui critiquent ce mandat, cette tendance accorde à une personne, le premier ministre, trop de pouvoir. Cette question est devenue un facteur électoral important que les détracteurs de M. Harper ont exploité à fond.
Trudeau a promis d’être l’antidote.
Autant avant que pendant la campagne, il a promis transparence et ouverture.
Il a aussi promis de révoquer les restrictions sur les scientifiques du gouvernement qui n’avaient pas le droit de parler de leur travail aux médias.
De plus, M. Trudeau a affirmé qu’il allait travailler avec tous les députés et non pas seulement avec ceux de son parti, ce qui marquerait un changement important avec la partisanerie des parlements précédents.
« Je me suis engagé, et ce, depuis longtemps, à diriger un gouvernement qui se concentre sur le fait de rassembler les Canadiens, d’écouter et de respecter les 337 autres voix choisies par les Canadiens et qui sont à la Chambre des Communes », a déclaré Trudeau à la presse parlementaire le 20 octobre.
Cette conférence s’est également conclue avec une autre promesse, soit celle d’accepter les questions des journalistes.
« Je serai de retour, je le promets », a-t-il dit.
Harper avait une relation difficile avec la tribune de la presse parlementaire et a accordé peu d’entrevues, ce qui a frustré beaucoup de journalistes.
Trudeau a insisté sur le fait qu’il allait changer la relation avec la presse et a demandé à des chahuteurs dans ses propres rangs de se taire. Ceux-ci s’étaient offensés d’une question posée par un journaliste de CTV durant la campagne.
« Hé ! Nous avons du respect pour les journalistes dans ce pays », a-t-il dit à ses partisans se tenant à ses côtés. « Ils posent des questions difficiles comme ils se doivent, d’accord ? »
Le prix à payer
Il y aura un prix à payer si Trudeau démantèle le système mis en place par ses prédécesseurs. Un gouvernement majoritaire au Canada est assez efficace et fonctionne comme une sorte de dictature bénigne, bien qu’elle soit surveillée par les tribunaux, une presse libre et de nombreux groupes de vigilance.
« Avec une modeste hyperbole, nous pouvons le décrire comme le gouvernement d’une seule personne. C’est là où nous sommes après 40 ans de centralisation du pouvoir – d’hyper centralisation du pouvoir », a déclaré Dan Gardner, rédacteur en chef de Policy Options, lors d’une discussion du Public Policy Forum à Ottawa le 21 octobre.
Hériter d’un tel pouvoir peut être séduisant, a illustré M. Gardner, citant des paroles de Stephen Harper écrites en 1997.
« Seulement en politique, octroyons-nous le pouvoir à une seule faction qui doit toujours prévaloir sur l’opposition par la seule force du nombre. De manière encore plus anachronique, nous continuons de structurer l’équipe au pouvoir comme un régiment militaire sous un seul commandant avec le pouvoir presque total de nommer, discipliner et expulser des subordonnés », avait écrit Harper à l’époque.
Harper a finalement dirigé le système qu’il critiquait âprement. Le défi pour Trudeau est donc de taille.
Il y a des raisons évidentes pour lesquelles Trudeau ne voudrait pas décentraliser, souligne M. Gardner, les principales étant l’opportunisme et la capacité de réaliser une vision facilitée par la centralisation.
Il y a aussi des dangers. Avec un contrôle centralisé, il peut être facile de prendre de mauvaises décisions. Recevoir des conseils et écouter les autres permet d’être mieux informé.
Défis
Malgré une longue liste de premiers ministres qui ont promis des réformes du genre, M. Gardner est l’un de ceux qui croient qu’elles pourraient vraiment se produire cette fois-ci.
Les déclarations des libéraux promettant ces changements ont été audacieuses, constantes et sans équivoque. Jusqu’à maintenant, Trudeau a tenu parole en laissant ses sénateurs agir selon leur gré, et en étant ouvert et accessible durant la campagne. Il a aussi invité les premiers ministres provinciaux et la chef du Parti vert, Elizabeth May, à faire partie de la délégation canadienne au sommet de l’ONU sur les changements climatiques tenu à Paris à la fin du mois. Les autres partis et des ONG devraient aussi être invités, a rapporté la Presse canadienne.
Mais la sincérité a ses limites. La personnalité est aussi un facteur. Harper était de nature plus introvertie comparativement à Trudeau, qui semble plus intéressé à ce que les autres pensent, affirme M. Gardner.
Harper, comme M. Gardner et d’autres l’ont souligné, avait aussi un cabinet relativement peu expérimenté – alors que plusieurs étaient nouveaux dans l’arène politique – ce qui a augmenté l’importance du contrôle du message.
Trudeau fait face à un défi complètement opposé, affirme l’analyste politique et conseiller en relations avec le gouvernement Peter Landry, un directeur chez Ensight Canada et Enterprise Canada.
« Il a la chance d’avoir certains candidats qui ont l’habitude de diriger des compagnies, qui sont très haut placés, qui ne sont pas du genre à répéter des messages préétablis », explique M. Landry en entrevue téléphonique.
Le caucus de Trudeau comprend également 13 députés qui ont le titre « honorable », l’apanage de ceux qui ont déjà tenu un poste de ministre.
Le défi le plus important de Trudeau à cet égard sera de respecter sa promesse de campagne de réduire son cabinet à environ 25 ministres.
Mais si Trudeau a de la difficulté à identifier où il doit céder du pouvoir et où il doit le conserver, il pourra s’appuyer sur une équipe expérimentée qui l’a déjà aidé à réaliser une campagne pratiquement impeccable.
« Il y a beaucoup de gens expérimentés qui connaissent l’équilibre qu’ils devront trouver », affirme M. Landry.
En fin de compte, Trudeau n’aura pas d’autre choix que d’apporter des changements majeurs.
« Il a été élu sur le fait qu’il n’est pas Stephen Harper », ajoute M. Landry.
Alors que Harper a été propulsé au pouvoir en raison de sa promesse de nettoyer le gouvernement, ce qu’il a fait en majeure partie, Trudeau a été propulsé au pouvoir en raison de sa promesse d’instaurer un gouvernement transparent, indique M. Gardner.
Les libéraux savent qu’ils seront dans le pétrin s’ils n’arrivent pas à respecter cette promesse d’ici la prochaine élection.
Si Trudeau ne livre pas la marchandise, les gens dont il s’est entouré pourraient déchanter – des gens capables qui cherchent à accomplir quelque chose.
« Plus facile à dire qu’à faire »
Il y a toutefois des raisons de douter. Trudeau pourrait créer une perception de changement sans apporter de réelle transformation.
Abandonner simplement le contrôle strict de l’information de Harper pourrait donner l’impression d’un gouvernement plus transparent sans jamais se pencher sur la centralisation du pouvoir au sein du Cabinet du Premier ministre.
Aussi, Trudeau est beaucoup plus confortable devant les caméras. La froideur de Harper a joué un rôle chez les électeurs, Trudeau pourrait utiliser son charisme avec les médias et les électeurs au lieu d’implanter une véritable transparence.
De plus, démanteler le système dont il a hérité sera difficile.
« Il est facile de mettre en place des procédures et il est difficile de les enlever. Alors ce sera plus facile à dire qu’à faire », estime M. Landry.
Il n’est pas clair non plus comment Trudeau perçoit la question d’un gouvernement transparent et collaboratif.
Son père admirait Mao Zedong, le fondateur du Parti communiste chinois, responsable de la mort de dizaines de millions de personnes en Chine et qui a dirigé l’un des régimes les plus brutaux de l’histoire.
Trudeau semble penser que la Chine d’aujourd’hui a bénéficié de ce système, déclarant en 2013 que la Chine était le gouvernement qu’il admirait le plus dans le monde. « J’ai un certain niveau d’admiration pour la Chine, parce que leur dictature leur permet de faire un virage économique soudain », avait-il dit lors d’une soirée-bénéfice.
Alors qu’il est possible que Trudeau comprenne mieux maintenant les graves problèmes structurels de l’économie chinoise et la sévère répression à laquelle font face les Chinois, il ne s’est jamais rétracté.
Finalement, il y a les problèmes auxquels font face les gouvernements transparents et collaboratifs : les critiques sur les dépenses excessives et le temps additionnel nécessaire pour consulter et collaborer avant de prendre une décision.
Heureusement, comme M. Gardner et d’autres l’ont souligné, les décisions collaboratives font presque toujours de meilleures décisions.
Et si Trudeau veut répondre aux attentes élevées qu’il a créées, il devra prendre beaucoup de bonnes décisions.
Version originale : Trudeau and the Power of a Prime Minister
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