Un décret encadrant le développement de l’agrivoltaïsme a été publié le 9 avril au Journal officiel après de longues négociations entre l’administration, les énergéticiens et le monde agricole pour faire cohabiter production de nourriture et d’énergie solaire.
La loi d’accélération des énergies renouvelables adoptée en février 2023 prévoit que l’agrivoltaïsme garantisse à la parcelle concernée une production agricole et un revenu durable par le solaire en apportant au moins l’un des services suivants: amélioration du potentiel agronomique, adaptation au changement climatique, protection contre les aléas ou amélioration du bien-être animal.
Derrière ces mots de bureaucrates hors-sol, les conséquences sur les terres agricoles et les terres de pâturage à moyen et long terme sont encore inconnues, quand celles-ci pourront être amputées jusqu’à 40% de leur surface pour un revenu confortable venant du solaire.
L’angle mort de ce décret, un développement anarchique des zones photovoltaïques sur les paysages français et un prix des terres qui va augmenter et pourrait empêcher aux futures générations d’agriculteurs de s’installer.
Moins de production agricole, plus de production solaire
Le texte publié le 9 avril encadre d’une part l’agrivoltaïsme, qui désigne des installations associées à des pratiques agricoles (culture ou élevage), et d’autre part le développement de projets photovoltaïques au sol sur terrains agricoles, naturels ou forestiers – qui ne sera possible que dans des zones incultes ou non-cultivées récemment, précise le gouvernement.
Le décret fixe à 40% la surface maximale du terrain agricole couverte de panneaux, sauf pour les projets ayant fait leurs preuves. Il s’agit de « compléter la production agricole par de la production d’énergie solaire » et « pas de remplacer » la production agricole par de la production d’énergie solaire, assure le ministre de l’Économie Bruno Le Maire.
La ministre déléguée à l’Agriculture et à la Souveraineté alimentaire, Agnès Pannier-Runacher, promet quant à elle de « la vigilance » sur le développement controversé de panneaux solaires au-dessus de terres agricoles. « On sera particulièrement vigilant », a assuré la ministre en visite sur un site pilote à Verdonnet en Côte d’Or. « Aucune activité énergétique ne doit prendre le pas sur l’activité agricole », a-t-elle déclaré après avoir visité une « canopée agricole » (un champ recouvert de panneaux solaires) de trois hectares de blé mise en place par le groupe français TSE et qui produit près de 3 mégawatts d’électricité par an.
Le risque d’un développement anarchique sur les paysages français
Dans la Nièvre, des agriculteurs ont déjà refusé de servir d' »alibi » à l’agrivoltaïsme. « On ne veut pas être les supplétifs de l’énergie solaire » a déclaré Sylvain Ratheau, éleveur, pour qui l’agrivoltaïsme est un leurre.
Le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables qui encourage l’installation de panneaux sur les champs fait partie du plan gouvernemental visant à multiplier par dix la production d’énergie solaire d’ici à 2050.
Cet objectif conduit à un « développement anarchique qui transforme les campagnes », accuse M. Ratheau. « On veut faire vite alors on met des panneaux et on voit ce qu’on met dessous », affirme l’éleveur en montrant un champ de céréales de 76 hectares au milieu duquel 22 ha de panneaux doivent être installés. Pour lui, le renouvelable est « juste un prétexte pour faire de l’argent ».
Selon le développeur du projet de Germenay, le danois European Energy, le propriétaire des terres les loue à cette entreprise « sous les 1000 euros » par an par hectare, contre 100 à 150 euros l’hectare par an s’il les confiait en fermage.
Un prix des terres qui va augmenter
Dénonçant un « détournement » des terres agricoles, la Confédération paysanne exige que les panneaux soient en priorité installés sur les bâtiments existants. Une opinion soutenue par le syndicat Jeunes agriculteurs: « L’agrivoltaïsme ferait encore augmenter les prix du foncier agricole au détriment de l’installation des jeunes », juge son coprésident Simon Gauche.
La Confédération paysanne dénonce des projets si bien rétribués qu’ils poussent les agriculteurs à délaisser leurs cultures ou leurs élevages au profit d’un argent « facile ». Selon le syndicat, la notion d’ « agrivoltaïsme »est jugée « marketing » et équivaut en réalité à l’installation de « tonnes de métal » sur des terres vouées à la production de nourriture.
Il publie sur son site le communiqué « Nous ne tomberons pas dans le panneau de l’agrivoltaïsme » dénonçant en écriture inclusive une artificialisation des sols, une manne financière générant des conflits d’intérêts, une dégradation des paysages et une atteinte à la biodiversité.
Le syndicat a fait savoir qu’il déposerait « un recours contre ce décret, afin de contraindre le gouvernement à revoir sa copie ». Selon eux, le texte est dénué de « garde-fous (…) pour préserver les paysannes et le foncier de l’appétit des énergéticiens ».
« Pas vocation à rester pauvre »
À l’inverse, pour le Syndicat des énergies renouvelables (SER), le texte permet enfin « de prendre en compte les besoins et les attentes des agriculteurs et de donner un cap aux acteurs de la filière solaire » évoquant un travail de plusieurs mois en « relation étroite » avec le monde agricole.
« Nous tenons à rappeler le faible impact sur les terres agricoles des projets agrivoltaïques, avec un besoin de moins de 1% de la surface agricole utile pour atteindre les objectifs » de la France, a souligné Daniel Bour, du président du syndicat du solaire Enerplan, selon qui « l’agrivoltaïsme est une opportunité fantastique pour l’agriculture française et pour la production électrique renouvelable solaire ».
Des agriculteurs se montrent aussi favorables à l’installation de panneaux solaires sur leurs terres qui leur fournirait un revenu supplémentaire.
« De 2015 à 2017, avec le réchauffement, on n’avait plus d’herbe. On était au bout du bout » explique un berger qui a contacté Photosol qui accepte de lui ouvrir gratuitement les 70 ha sous les panneaux. « Sans ça, on aurait dû vendre une partie du troupeau ».
Pour Emmanuel Bernard, président du syndicat FDSEA dans la Nièvre (qui représente 30% des agriculteurs), « on n’a pas envie de voir la Nièvre se couvrir de panneaux » explique-t-il « mais on n’a pas vocation à rester pauvre ».
Des contours encore flous entre le propriétaire, l’agriculteur et l’énergéticien
Pour Christian Huyghe, directeur scientifique de l’agriculture à l’Inrae, interviewé par La France agricole, l’agrivoltaïsme est une bonne idée, mais le décret peut conduire à des dérives néfastes pour l’activité agricole.
Le décret n’aborde pas en effet la question du partage des revenus engendrés par la production d’énergie, entre le propriétaire foncier, l’agriculteur qui exploite le champ et le porteur de projet agrivoltaïque.
« Il faut que tout le monde s’y retrouve », a indiqué le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher, concédant que « si ça devient trop intéressant pour le propriétaire foncier, ça peut nuire à l’agriculture ». De « nouvelles initiatives législatives » sur ce point doivent être présentées à l’été, précise-t-elle.
Un premier bilan du dispositif est prévu dans un an.
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