Il a été deux fois sanctionné par l’Ordre des médecins mais continue de réaliser des centaines d’expertises pour la justice, l’administration ou les assurances: à Strasbourg, la situation du docteur Henri Brunner est révélatrice de la pénurie d’experts psychiatres face à une demande toujours croissante.
Vendredi, la chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins du Grand-Est doit rendre sa décision dans un dossier réunissant sept plaintes formulées contre ce psychiatre strasbourgeois, accusé de mener des examens « expéditifs », de tenir des propos « humiliants » pour les patients, de manquer d’impartialité dans ses expertises et de trahir le secret professionnel.
Six plaintes ont été déposées par des particuliers qu’il avait expertisés. La septième émane de psychiatres libéraux, qui déplorent des conséquences « dévastatrices », pour leurs patients suivis au long cours, des conclusions « à l’emporte pièce » rédigées par leur confrère lors d’expertises ponctuelles.
Une radiation demandée
Chose rare, l’Ordre des médecins du Bas-Rhin s’est associé à la procédure pour demander la radiation du docteur Brunner, lors de l’audience qui s’est tenue à Nancy le 13 décembre, comme l’a révélé Rue89 Strasbourg.
Mandaté pour des expertises par des assurances, Henri Brunner « a été, au fil des années, de plus en plus violent. Il remet en cause des diagnostics, des protocoles de soin. Sa pratique va à l’encontre de nombreux patients, qu’il met en danger », estime le docteur Georges Federmann, à l’origine d’une plainte avec quatre confrères.
« Ma cliente est sortie en larmes de l’examen, le docteur Brunner avait été hautain, désagréable et injurieux », explique l’avocat messin Thomas Hellenbrand, qui défend une enseignante expertisée à la demande de sa compagnie d’assurance dans le contexte d’une dépression.
« Il a perdu pied par rapport à la réalité », poursuit l’avocat. « Il avait estimé qu’elle n’était pas dépressive parce qu’elle se souvenait de la date de décès de ses parents, qu’elle avait des tatouages et un parfum ‘‘entêtant’’. Ce qu’il écrit est invraisemblable. »
On me reproche de ne pas être « complaisant »
Sollicité, le docteur Brunner, âgé de 76 ans, ne reconnaît « aucun des faits reprochés ». « Moi je suis indépendant », réplique-t-il à ceux qui lui reprochent de rendre systématiquement des conclusions allant dans le sens de ses mandataires. « Ce qui me cause des ennuis, c’est que je ne suis pas complaisant. Je suis intransigeant ».
Les poursuites cependant font écho aux sanctions, un blâme et un avertissement, prononcées en 2018 et 2019 par la Chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins. Dans sa décision du 16 mars 2018, après la plainte d’une patiente qui se plaignait de son attitude « agressive et humiliante », la Chambre avait conclu à une « violation » des obligations professionnelles, et mentionné les « nombreux signalements » faisant état « d’une attitude agressive et méprisante à l’égard de patients ».
Toujours présent sur la liste des experts judiciaires
Ces sanctions n’ont pas empêché Henri Brunner de continuer à figurer sur la liste des médecins agréés par la préfecture du Bas-Rhin, et la liste des experts judiciaires des tribunaux alsaciens, contrairement à ce que prévoit la règlementation.
« Je n’ai jamais été informé de sanctions ordinales prises à l’encontre du docteur Brunner », explique Jean-Luc Jaeg, avocat général à la Cour d’appel de Colmar, chargé d’établir les listes d’experts.
La préfecture, elle, n’a pas répondu aux sollicitations.
Bien que sanctionné et ayant dépassé l’âge limite, le docteur Brunner a donc continué à être sollicité pour des examens, sous le statut d’expert « honoraire ». « Ca n’a pas changé mon activité », reconnaît-il. En 2024, « j’ai réalisé 399 expertises » rien qu’au pénal, « et déposé 40 fois aux assises », affirme-t-il, en plus de son activité libérale.
Cette sur-sollicitation est liée à la « grave pénurie d’experts », explique un magistrat sous couvert d’anonymat. « Si vous êtes juge d’instruction, que vous êtes tenu par des délais et que vous devez faire réaliser une expertise obligatoire, vous allez à celui qui va la rédiger le plus rapidement, peu importe le contenu… et parfois ça fait peur ».
En dix ans en France, leur nombre est passé d’environ 1000 à 350, indique la Compagnie nationale des experts psychiatres près les cours d’appel.
« Et pourtant les procédures prévoient des expertises dans de plus en plus de cas », souligne le docteur Laurent Layet, président de la Compagnie, qui déplore que les propositions pour réformer l’activité n’aient jamais été entendues.
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