Avec la publication le 9 avril dernier du décret abrogeant l’autorisation d’exploiter Fessenheim, la plus ancienne centrale nucléaire de France, on pourrait croire que la controverse autour de sa fermeture et de l’avenir du nucléaire est close. Cependant, si cette décision sauve la face d’une promesse présidentielle imprudente, elle reste soumise à des conditions suspensives qui laissent de grandes libertés à EDF. Par ailleurs, elle cache d’un voile pudique les nombreuses difficultés d’une industrie nucléaire française aux abois.
Un décret très clair en apparence…
En faisant pression pour que le conseil d’administration d’EDF décide officiellement le 6 avril dernier de fermer la centrale nucléaire de Fessenheim (Alsace), puis en signant le 9 avril le décret confirmant cette fermeture, la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, Ségolène Royal a, en bon soldat, « fait le job » jusqu’au bout pour honorer la promesse du président François Hollande avant la fin de son mandat : « C’est dit, c’est fait #transitionenergetique » annonçait-elle fièrement sur Twitter le dimanche 9 avril.
Si l’article 1 du texte qui déclare que « l’autorisation d’exploiter la centrale nucléaire de Fessenheim est abrogée » paraît sans ambiguïté, l’article 2 l’assortit de trois conditions reprenant intégralement les clauses suspensives imposées par le conseil d’administration d’EDF : la fermeture ne s’appliquera qu’à compter de la date de « mise en service de l’EPR de Flamanville 3 », à condition que « la demande ait été reçue avant cette date », et sous réserve que cette fermeture « soit nécessaire pour assurer la maintien du plafond fixé par la loi ». Plus précisément, ce décret sera applicable si l’EPR de Flamanville est mise en service comme annoncé fin 2018, si EDF en fait la demande mi 2018 (délai légal préalable de six mois), et si le parc nucléaire en activité dépasse le plafond de 63,2 Gigawatt autorisé au niveau national.
Or, l’EPR de Flamanville, qui devait être mis en service en 2012, accumule plus de cinq ans de retard, avec un budget multiplié par trois pour atteindre à présent les 10 milliards d’euros. Il suffit donc que de nouvelles difficultés techniques apparaissent sur ce chantier interminable démarré en 2007, en particulier sur la cuve qui doit être homologuée cet été par l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), pour annoncer un nouveau retard et rendre le décret caduque.
Par ailleurs, il est tout à fait possible qu’une ou plusieurs centrales existantes soient indisponibles de façon prolongée fin 2017 ou 2018. Ce fut en effet déjà le cas au second semestre 2016 où dix centrales (sur 58) ont été mises à l’arrêt par l’ASN pour procéder en urgence à des contrôles de résistance des fonds de générateur de vapeur. Dans cette hypothèse, le parc EDF ne serait plus en mesure d’assurer la puissance nécessaire au niveau national et le fonctionnement de Fessenheim devrait être prolongé.
EDF garde donc une grande liberté de manœuvre pour maintenir Fessenheim en fonctionnement en dépit de ce décret qui pourrait bien n’être, comme le disent Les Echos du 9 avril dernier, qu’« un coup de bluff de Ségolène Royal ».
… qui cache mal les impasses du secteur nucléaire français
Mais, au-delà de la fermeture de Fessenheim, se posent d’autres questions plus importantes, révélées par le magazine Science & Vie de février dernier ; elles concernent l’industrie nucléaire française dans son ensemble et expliquent peut-être mieux pourquoi EDF a tant besoin de garder cette vieille centrale opérationnelle.
En premier lieu, la découverte en avril 2015 par l’ASN d’anomalies « sérieuses » dans l’acier composant la cuve du premier réacteur EPR de Flamanville. Cette alerte a déclenché en mars 2016 un audit de l’ASN dans l’usine du Creusot Forge d’Areva, où sont apparues d’autres irrégularités et anomalies de fabrications passées sous silence, y compris sur d’autres cuves, dont celles des réacteur N°2 de Fessenheim et N°5 de Gravelines : alors que le contrôle qualité se doit d’être intraitable en matière nucléaire, des documents relatant ces non conformités ont été falsifiés, que l’ASN qualifie de « pratiques inacceptables », de quoi jeter le doute sur la fiabilité d’une grande partie du parc en fonctionnement et déclencher les contrôles de fonds de cuve de fin 2016.
Le second sujet qui inquiète les professionnels est relatif au vieillissement des matériaux des centrales actuelles, dont une grande partie atteindra le cap des 40 ans dans les prochaines années, et qu’EDF espère prolonger jusqu’à 60 ans. Elles devront alors subir un « grand carénage », dont le coût jusqu’en 2025 est évalué à 55 milliards d’euros, et y intégrer le renforcement des exigences suite à l’accident de Fukushima. EDF doit donc non seulement prouver à l’ASN qu’elle maîtrise le vieillissement de tous les composants de ses centrales mais aussi les renforcer, en particulier les cuves, les piscines à combustible, le circuit primaire, le réceptacle de combustible en fusion et les enceintes en béton.
Enfin, deux autres problèmes quasi insolubles se posent. L’un est relatif au conditionnement du graphite des six réacteurs graphite-gaz des années 1950 dont EDF, après quinze ans de recherche, ne sait toujours pas comment procéder pour l’extirper en toute sécurité des réacteurs. L’autre est celui des déchets radioactifs (200 mètres cubes par an et par réacteur), qui n’en finissent plus de s’entasser dans les piscines de la Hague, sans parler du démantèlement futur des réacteurs obsolètes. Les scientifiques espèrent pouvoir stocker ces déchets en sécurité à grande profondeur sur le site de Bures, mais le projet est évalué à 25 milliards d’euros et des « zadistes » occupent déjà le site depuis plusieurs mois …
L’action EDF, qui affichait fièrement 75 euros en novembre 2007, n’en finit plus de dégringoler pour frôler les 7,4 euros actuellement, d’où son exclusion récente du CAC40. On comprend mieux les raisons de la démission du directeur financier d’EDF en mars 2016, qui refusait d’engager son entreprise dans le projet nucléaire britannique d’Hinkley Point.
L’industrie du nucléaire civil qui, fait unique dans le monde, règne en maître depuis plus de trente ans sur la France en se vantant de délivrer l’électricité la moins chère et la moins carbonée d’Europe, ressemble désormais à un colosse aux pieds d’argile. Elle est surtout devenu un gouffre financier et une impasse technologique dont l’ampleur devient préjudiciable au développement des énergies renouvelables dans notre pays.
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