À sept mois des élections, le Rassemblement national peut encore changer d’alliés au Parlement européen. Le contexte italien pourrait inspirer à Jordan Bardella un rapprochement avec le groupe conservateur CRE, plus prometteur que le groupe populiste ID.
La droite identitaire est divisée en Europe. D’un côté, les conservateurs atlantistes du groupe CRE (Conservateurs et Réformistes européens) représentés par les Polonais du parti PIS (Droit et Justice) et les Italiens de Fratelli d’Italia. De l’autre, les populistes eurosceptiques du groupe ID (Identité et Démocratie) représentés par la Lega de Matteo Salvini et le RN. La ligne de différenciation majeure est géopolitique : CRE est pro-américain, pro-ukrainien et peu critique envers le projet européen, tandis qu’ID est non aligné voire prorusse, anti-américain et durement eurosceptique.
Identité et Démocratie est isolé, victime d’un cordon sanitaire peu démocratique mis en place par les autres groupes et plus marqué que celui excluant le RN en France. « Personne ne leur parle. Personne ne veut leur donner de rapport ou de poste-clé. Quand ID fait quelque chose, c’est toxique », décrit une source au Parlement européen. Seuls les eurodéputés CRE osent travailler avec eux. Il serait faux de dire que le groupe ID ne travaille pas et s’oppose à tout, mais leurs amendements sont systématiquement rejetés, même les moins idéologiques.
Face à cette image incompatible avec celle d’un parti de gouvernement, la Lega, membre de l’exécutif italien et que son président proclame comme de « centre-droit », se pose la question de son maintien au sein du groupe populiste. L’hypothèse de rejoindre le PPE (Parti populaire européen) a été rejetée par Matteo Salvini : trop de différences idéologiques et aucune volonté d’ouverture à droite chez les centristes. Reste CRE où siège le parti de Giorgia Meloni. Le RN est face au même dilemme.
Le groupe conservateur, lui, entretient de bonnes relations avec le groupe PPE mené par la CDU/CSU allemande. Mieux structuré et plus homogène, il bénéficie d’une certaine respectabilité et est capable d’obtenir la responsabilité d’un rapport et son adoption. Dans ce groupe, le parti Fratelli d’Italia est le deuxième en nombre et occupe la vice-présidence.
Bardella le pragmatique
Il y a des signaux faibles sur les plans du président du RN. Jordan Bardella est allé en Italie en mai 2023 pour se rapprocher de Giorgia Meloni. Quelques jours plus tard, il la défend quand le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin déclare qu’elle n’applique pas son programme. D’après une source à Strasbourg, « c’est assez évident vu de l’extérieur que c’est le souhait de Bardella de se rapprocher de CRE ».
Ceux qui connaissent ou ont bien connu le président du Rassemblement national le décrivent comme très attaché à sa « lisseté » et à sa respectabilité, ne souhaitant donner aucune prise à ses adversaires, aucune occasion de le diaboliser. Malgré son rôle de « monsieur immigration » au RN, son discours n’est pas d’une dureté sans borne. Par exemple, il refuse l’expression de « Français de papier » contrairement à Éric Zemmour. Ses envies de normalisation et de dialogue avec le centre-droit se perçoivent aussi à travers le nouveau clivage qu’il a proposé dans son entretien au Figaro en septembre : puissance contre décadence et non peuple contre élites. Un mois plus tard dans le magazine Livre noir, il déclare : « La droite est orpheline. On a un coup à jouer. » Plus intégré au système, plus proche du PPE, le groupe CRE a tout pour rentrer dans la stratégie de Bardella.
Marine Le Pen, en revanche, n’entend pas quitter ID. Au moment du déplacement de son poulain à Rome, elle avait publié un entretien dans le Corriere della Serra pour le parasiter et rappeler son alliance avec la Lega. Au plus fort de la crise de Lampedusa, elle attaque sévèrement Giorgia Meloni qui « demande de l’aide à l’UE comme un enfant qui appelle sa maman ». Quelques semaines plus tard, la députée du Pas-de-Calais était invitée par Matteo Salvini à la kermesse de la Lega aux côtés d’autres chefs populistes européens.
Au Rassemblement national, on veut absolument éviter tout discours opposant le tandem Le Pen – Bardella. « Il y a une manipulation médiatique orchestrée par Emmanuel Macron pour essayer de diviser Marine et Jordan, alors que c’est un ticket », défend Franck Allisio, député des Bouches-du-Rhône. Questionné sur la future affiliation du RN, il est prudent mais ouvert : « C’est trop tôt. Pour l’instant, on est avec Salvini et ID. Rien n’exclut non plus une recomposition des groupes avec les députés hongrois de Viktor Orban. » Le leader du Fidesz a aussi invité Marine Le Pen à sa rentrée politique.
À la Lega aussi, on fait mine de ne pas s’inquiéter. « Le RN est un allié solide », balaye dans un français impeccable Davide Quadri, collaborateur du groupe Lega au Parlement européen. « Jordan Bardella est très apprécié à la Lega, de par son parcours à Génération Nation (anciens jeunes du FN/RN, ndlr) et ses origines italiennes. » Pour lui, ID a toute sa place dans une assemblée européenne où se multiplient les majorités de projet : « Sur Frontex par exemple, il y a déjà eu des majorités allant de Renew (centre libéral, ndlr) à ID. » À moyen terme, la Lega table même sur un éclatement du groupe PPE : « Nous avons de très bons rapports avec le Parti populaire espagnol et le SDS slovène qui sont au PPE. » Ajoutez à cela la défaite du PIS en Pologne qui rebat les cartes au sein du groupe CRE, et vous avez une belle recomposition des alliances en perspective pour 2024.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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