En raison des lois strictes sur la région de résidence en Chine, le nombre de personnes catégorisées en « travailleurs migrants » se chiffre en centaines de millions. Privés du droit légal d’habiter les villes dans lesquelles ils travaillent, ils n’ont souvent pas d’autre choix que de laisser leurs parents et enfants derrière eux dans des zones rurales. Ces derniers sont contraints de vivre dans des petites habitations de fortune à la périphérie des grandes villes.
Cela a créé une double tragédie : des enfants négligés, comme l’a montré le suicide collectif de quatre enfants « laissés derrière » dans la province rurale du Guangxi l’an passé et qui avait choqué le public chinois; ainsi que le désespoir des personnes âgées, souffrant de maladie, de faim, de solitude et de dépression, alors que leurs enfants censés s’occuper d’eux s’échinent dans les villes.
Le démographe chinois Liu Yanwu a étudié les suicides chez les personnes âgées, un phénomène qui selon lui aurait « atteint un point terrifiant » au cours des six dernières années.
Bouteilles de pesticide
Avant d’avaler une bouteille de pesticide, Lin Muwen, âgé de 69 ans, a lui même brûlé dans un barbecue la traditionnelle « monnaie d’après-vie », craignant que ses enfants ne suivent pas la coutume. Cela a été rapporté par des villageois à un média d’État. « De cette façon il a gardé sa dignité, » a déclaré un villageois.
De nombreux villageois ont dit à Liu, le démographe, « qu’aucune des vieilles personnes n’était morte de causes naturelles » dans leur communauté.
Cela se passait en 2008, quand Liu et une équipe de recherche menait une enquête sur le terrain dans le comté de Jingshan, dans la province du Hubei. Selon une « estimation modeste, » 30% des personnes âgées s’y seraient données la mort. L’enquête de Liu a été relayée dans de nombreux médias en Chine, comme le China Youth Daily géré par l’État, qui a couvert ses recherches.
Sur une période de 400 jours, Liu, également conférencier au Département de Sociologie de l’Université de Wuhan, a enquêté dans plus de 40 villages à travers 11 provinces. Les personnes âgées commettent bien plus de suicides depuis les années 1990, explique t-il.
Selon Liu, le suicide est devenu pour les citoyens âgés dans les zones rurales appauvries une façon normale de terminer leurs jours, particulièrement pour ceux souffrant de maladie.
Alors qu’un rapport de recherche de l’Université de Honk Kong indique que le taux de suicide en Chine a été réduit de moitié depuis le début de la décennie, Liu ne se montre pas optimiste.
« Le taux de suicide général en Chine est sur le déclin, » a dit Liu à un journaliste du China Youth Daily. Mais il affirme que pour les personnes âgées dans les zones rurales, le suicide est toujours en augmentation comme un « moyen unique de faire face à la douleur d’une société moderne vieillissante. »
Une sombre réalité économique
Les constatations de Liu sont en contraste avec la volonté du régime chinois de rétablir la coutume traditionnelle de piété filiale ou respect pour les aînés. En 2013, les législateurs chinois ont voté une loi en 9 points obligeant les enfants à rendre visite à leurs parents âgés.
Depuis les années 1990, un programme appelé « Les dix plus vertueux fils et filles » a fait sélectionner par province les enfants les plus filiaux pour une compétition nationale.
Ce n’est pourtant pas seulement la perte de la tradition qui amène tant de chinois âgés à s’infliger la mort. La face sombre du développement rapide de l’économie chinoise s’est largement manifestée dans une société où des centaines de millions de travailleurs migrants ont quitté la campagne, dans le but d’aller chercher du travail dans les usines des villes chinoises en expansion.
Bien souvent, ces travailleurs ont déjà du mal à faire assez d’argent pour se nourrir et s’habiller, sans parler d’entretenir leurs parents et enfants qu’ils ont laissé derrière. De plus, le terrible système « hukou » de restriction régionale confine les familles rurales dans des terres de moins en moins productives. Les enfants ruraux amenés en ville ne peuvent pas entrer à l’école publique, et les parents âgés des travailleurs migrants ne peuvent pas bénéficier des soins de santé.
Selon les villageois à qui Liu a pu parler, la décision de se retirer la vie se base sur des considérations économiques froides et pragmatiques – si une personne âgée développe une affection ne pouvant être traitée avec son propre revenu, il est probable qu’il choisisse de ne pas être un poids pour les dépenses de sa famille.
Même les médecins de village semblent accepter et voir le suicide comme une réaction normale devant des maladies graves.
Le bon moment pour mourir
Ceux qui prennent cette décision désespérée attendent généralement une période calme pour leur famille avant de commettre leur acte – ne pas mourir juste après une dispute et certainement pas à la maison. Les couples considèrent généralement que se suicider au même moment est un mauvais présage.
Un jour, l’équipe de recherche a interviewé une dame âgée qui s’est ôtée la vie trois jours plus tard. L’équipe a découvert que les membres de sa famille riaient et plaisantaient lors de la cérémonie d’enterrement. Un homme âgé a listé les trois moyens les plus fiables pour se tuer : l’herbicide, la corde et l’eau.
D’un autre côté, peu souhaitent réellement mettre fin à leurs jours. Selon l’enquête de Liu, la majorité des suicides chez les aînés ruraux sont causés par la difficulté de la vie quotidienne ou par une maladie douloureuse ; l’effondrement émotionnel en est le résultat.
Dans une affaire macabre, un travailleur avait pris sept jours de repos pour aller voir son père mourant. Quelques jours plus tard, l’état du vieil homme s’était amélioré. Au lieu de le fêter, le fils était inquiet du délai nécessaire pour l’enterrement et demanda : « Ne vas-tu pas mourir ? Je ne peux passer que sept jours ici. »
Le père se tua à temps pour que son fils puisse faire l’enterrement et retourner à son travail dans la semaine.
Dans certains cas, l’acte n’est pas vraiment volontaire. Au cours de l’hiver 2011, en voyageant dans le village de Yincheng dans la province du Hubei, Liu Yanwu a rencontré un vieil homme paralysé. Le fils de cet homme parlait de quand arrêter de servir à son père de l’eau et de la nourriture en espérant qu’il puisse mourir avant le Nouvel an chinois, pour ne pas laisser une mauvaise odeur dans la maison durant la période des vacances.
En entendant la conversation, le vieil homme s’est obstinément « accroché à la vie ». Par d’incessantes plaintes et malédiction, il a réussi à passer le nouvel an lunaire avant de rendre son dernier souffle.
Version anglaise : Suicide Among Rural Chinese Seniors Becomes a Disturbing Trend
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