Enfant du Bangladesh, Ariful-Islam Mozumder, 20 ans, peut dire merci à l’oncle qui l’a aidé à venir en Europe pour échapper à un conflit familial. Arrivé en France sans papiers, formé avec d’autres mineurs isolés, il vient d’être sacré médaille d’or à un concours d’apprenti cuisinier. En janvier, il avait déjà raflé une deuxième place à un autre concours organisé par les Maîtres cuisiniers de France, enchaînant sans ciller, en quatre heures trente, un « bavarois d’avocat, vinaigrette à l’orange », un « râble de lapin en rognonnade » suivi d’un « soufflé chocolat et mandarine ».
Précis, rapide et « capable de reproduire à l’excellence » selon son patron et mentor, Christian Morisset, chef du Figuier de Saint-Esprit à Antibes (sud-est), Ariful-Islam attend maintenant des nouvelles de la préfecture pour son titre de séjour. « Le plus compliqué c’est l’administration, çà, c’est galère. Mais la mayonnaise, non ! », dit-il, décidé à poursuivre sa formation, après trois années au Centre de formation des apprentis (CFA) municipal de Cannes.
Il avait 16 ans quand il a quitté Comilla – une grande agglomération proche de la capitale Dacca – où son père, ancien fonctionnaire, est aujourd’hui retraité. Sa mère cuisine, mais ni plus ni moins qu’une autre. Il leur envoie désormais un peu d’argent, les appelle deux-trois fois par semaine et reste discret sur le différend qui a opposé sa famille à un oncle occupant la maison mitoyenne: « J’ai dû partir de chez moi », dit-il.
Passé par l’Inde, il débarque en bateau en Italie, passe quelques mois à Milan où vit un autre oncle, ne s’y plaît pas, gagne Paris en passant la frontière sans visa, puis est orienté six mois plus tard vers une structure d’accueil sur la Côte d’Azur. Le jeune garçon intègre en septembre 2015 la classe des mineurs isolés étrangers du CFA de Cannes qui forme à la cuisine cinquante jeunes par an, et c’est le déclic.
« C’est un très, très bon exécutant. Il visualise très vite et il sait comment s’y prendre. Vous ne le voyez jamais stressé, ni crier au secours ou courir de tous les côtés », détaille son chef, qui l’a pris en contrat en durée indéterminée « pour qu’il puisse rester en France ». « Il écrit le français maintenant, avec des fautes mais ce n’est pas qu’un manuel, il a du potentiel. J’attends encore qu’il montre son côté créatif. J’ai eu un autre Bangladais mais presque illettré et c’était trop compliqué », ajoute-t-il.
Dans son restaurant une étoile au guide Michelin, Ariful que tous appellent « Ari » n’est pas une exception. Passionné par son métier, couché tard et levé tôt pour préparer ses protégés, Christian Morisset, la soixantaine, raconte: « J’en ai cinq qui sont dans le même cas, des Albanais et une jeune fille sénégalaise. Ariful a été le déclencheur. Sa tutrice est venue taper à ma porte pour me demander de le prendre en stage de cuisine, puis en CAP. Ces jeunes ont du caractère, ils savent se confronter aux épreuves ! »
« On est le pays de la gastronomie et on n’arrive plus à trouver des jeunes qui ont la passion, la motivation, le courage de travailler. Et maintenant, ces jeunes-là qui sont à nos côtés, c’est extraordinaire ! », ajoute-t-il. Au CFA, on se félicite aussi. « Ces jeunes migrants nous ont énormément apporté », salue Audrey Goineau, la directrice adjointe. « Ariful est sorti du lot et il a aussi eu la chance de tomber sur un chef qui aime les concours, mais il représente tout un groupe. Dans la classe des migrants du CFA, certains sont dans une quête construite comme Ariful, d’autres sont orphelins ou ont fui et n’ont pas été scolarisés avant. Tous sont à fond et mettent un point d’honneur à faire comme le professeur a dit », observe-t-elle.
D.C avec AFP
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