Gibraltar, cédé à la Grande-Bretagne au XVIIIe siècle mais dont Madrid revendique la souveraineté, est un point névralgique en Espagne et un enjeu de politique intérieure, ce qui explique l’intransigeance de Pedro Sanchez qui menace de faire dérailler le Brexit. « C’est une question qui affecte l’essence de notre pays », a insisté mercredi le chef du gouvernement socialiste.
Pris par la flotte anglo-hollandaise en 1704, avant d’être cédé en 1713 à la couronne britannique en vertu du traité d’Utrecht, ce confetti d’à peine 6 km2 et où vivent 30.000 personnes, situé à un emplacement stratégique permettant le contrôle du détroit, est revendiqué depuis des décennies par Madrid. Francisco Franco en avait fait un enjeu de sa politique nationaliste et l’épisode le plus tendu dans ce dossier date de cette période lorsque le régime dictatorial avait fermé la frontière en 1969, en représailles à l’entrée en vigueur de la Constitution de Gibraltar.
« Il n’échappe à personne que Gibraltar est un thème d’une énorme importance symbolique (et pas seulement) pour l’Espagne » qui « n’a pas renoncé à ses prétentions » même si elle « adopte depuis les années 1980 une attitude pragmatique », note vendredi l’institut de recherches Elcano. Avant même que les négociations sur le Brexit ne commencent, Madrid s’était assuré en juin 2017 auprès de ses partenaires européens qu’« aucun accord entre l’UE et le Royaume-Uni ne s’applique au territoire de Gibraltar » sans son feu vert.
Une clause qui ne figure pas dans l’accord de sortie du Royaume-Uni, ce qui a entraîné la colère du gouvernement qui exige que cela soit de nouveau mentionné noir sur blanc. « C’est un sujet important car il relève de la souveraineté nationale », estime Oriol Bartomeus, politologue à l’Université autonome de Barcelone. « Et c’est un sujet dont la droite a toujours joué historiquement, le Gibraltar espagnol », et qu’elle utilise encore actuellement dans la campagne électorale des régionales en Andalousie, où est enclavé le Rocher.
Virulent, le Parti populaire (conservateur) a qualifié ces derniers jours la gestion du dossier Gibraltar par le gouvernement de « plus grand fiasco de la politique étrangère espagnole des 100 dernières années ». Et son chef Pablo Casado a averti vendredi qu’il ne « tolérerait pas une humiliation internationale de l’Espagne ». La droite espagnole était déjà tombée à bras raccourcis sur le ministre des Affaires Etrangères Josep Borrell quand il avait annoncé qu’il ne réclamerait pas la souveraineté sur Gibraltar au cours des négociations sur le Brexit.
Le Rocher ne doit pas être « le dernier obstacle sur le chemin d’un accord sur le Brexit », avait souligné à l’époque le ministre, tout en assurant que cela n’était en aucun cas une renonciation aux prétentions historiques de Madrid. Son idée était de remettre le sujet à plus tard afin de faire avancer les négociations bilatérales avec Londres sur les problèmes concrets des travailleurs frontaliers ou de la contrebande de tabac. Un succès puisque Londres, Madrid et Gibraltar ont conclu cette semaine un protocole d’accord sur ces questions.
Mais « ce profil bas a valu au gouvernement de fortes critiques de l’opposition il est donc difficile qu’il cède maintenant » et « si (la Première ministre britannique) Theresa May ne comprend pas que l’Espagne est sérieuse, nous aurons un échec retentissant dimanche », a estimé dans une tribune Ignacio Molina, analyste à l’institut Elcano. D’autant qu’il en va aussi du rôle central que Pedro Sanchez entend jouer sur la scène européenne, souligne le politologue barcelonais Gabriel Colomé. « Il pourrait (faire échouer le Brexit) car il sent que ses partenaires lui ont joué un mauvais tour ».
Si sous Mariano Rajoy, « l’Espagne a perdu son influence sur les institutions européennes », Pedro Sanchez « veut quant à lui montrer que l’Espagne est devenue un partenaire important qu’alors que l’Italie est à la dérive et que la Grande-Bretagne est en train de disparaître » de la scène européenne, juge l’universitaire. « Il dit je suis important, je veux jouer en première division, en Ligue des champions ».
D.C avec AFP
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