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La mémoire retrouvée d’une famille juive de Vienne

novembre 9, 2019 7:46, Last Updated: novembre 9, 2019 12:44
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De la splendeur de la famille  au temps de l’empire autrichien, les persécutions nazies ont tout balayé. L’histoire tragique a dispersé parents et enfants à travers le monde, éparpillé leur mémoire, jusqu’aux retrouvailles inédites du clan, cette semaine à Vienne.

Pour prendre la mesure du statut des Ephrussi au début du 20ème siècle, direction le palais du même nom qui domine toujours la Ringstrasse, le plus beau boulevard de l’ancienne capitale des Habsbourg.

Cinq étages, des colonnes néo-antiques en façade, des cours et des balcons intérieurs, une salle de bal, des écuries, des plafonds à caissons dorées, du marbre partout : le bâtiment démesuré a incarné la réussite de ces banquiers juifs originaires d’Odessa qui firent fortune dans l’export du blé ukrainien avant de bâtir un empire financier, à Vienne et Paris.

-Le Palais Ephrussi à Vienne, qui appartenait auparavant à la famille noble autrichienne juive von Ephrussi. Construit vers la fin des années 1800 et le début des années 1900, il fut confisqué par les nazis en 1938, la famille fut forcée de fuir. Photo Wikipédia de Gryffindor

Les descendants de la dynastie retrouvés à l’occasion du vernissage

A l’annexion de l’Autriche par les nazis en 1938, la saga familiale est effacée en quelque mois: les biens saisis, le palais occupé, la banque rayée du registre du commerce. Viktor Ephrussi, le dernier maître de la demeure, quitte le pays avec deux valises.

Jusqu’en mars prochain, une rétrospective au Musée juif de Vienne fait revivre cette odyssée semblable à bien des égards au destin brisé d’autres familles de la grande bourgeoisie juive qui rayonna sur la métropole autrichienne à la Belle époque.

Signes particuliers: l’exposition est composée des archives que les descendants de la dynastie ont choisi de donner à la ville qui avait chassé leurs ancêtres. Et c’est à Vienne qu’une quarantaine d’entre eux, dispersés entre Europe, Etats-Unis et Mexique se sont retrouvés pour la première fois, à l’occasion du vernissage, le 5 novembre.

-Le 5 novembre 2019. Des membres de la famille Ephrussi sont rentrés à Vienne en novembre pour leur première réunion depuis plus de huit décennies pour assister à l’ouverture d’une exposition sur leur histoire de famille. Photo de JOE KLAMAR / AFP via Getty Images.

Edmund de Waal a passé plusieurs années sur les traces de ses ancêtres

Longtemps, ces descendants n’ont eu qu’une vague idée de l’épopée de leurs aïeux.

« Cela remonte à si longtemps ; la famille était passée à autre chose, éclatée à travers le monde », a confié à l’AFP Edward de Waal, l’un des arrières-petits-enfants de Viktor Ephrussi.

Il a fallu l’obsédante quête des origines d’un autre arrière-petit-fils de Viktor, le Britannique Edmund de Waal, pour reconstituer le puzzle familial.

Céramiste de renom, Edmund de Waal a passé plusieurs années sur les traces de ses ancêtres, en France, en Autriche, en Tchécoslovaquie, aux Etats-Unis et même au Japon.

Il a embarqué des milliers de lecteurs dans ses recherches grâce à un récit devenu best-seller: « Le lièvre aux yeux d’ambre » (The Hare with Amber Eyes), sorti en 2010 et traduit dans le monde entier.

Pour l’artiste de 55 ans, au corps longiligne toujours en mouvement, parcourir l’exposition viennoise avec ses objets, ses lettres, ses photos qu’il connaît si bien, lui a fait vivre « un moment stupéfiant ».

Les traces à jamais disparues d’une famille juive de Vienne

« Cette exposition fait tenir ensemble ce que je croyais être les traces à jamais disparues d’une famille juive de Vienne », a expliqué M. de Waal.

Pour construire son livre, l’artiste britannique avait suivi un fil d’Ariane insolite : le destin d’une collection de 264 netsuke, délicates miniatures japonaises sauvées des pillages nazies et transmises entre les générations.

La collection fut acquise par Charles Ephrussi, célèbre figure parisienne, ami d’Auguste Renoir et mécène de nombreux impressionnistes, qui inspira à Proust le personnage de Swann. Il l’avait offert à son cousin viennois Viktor en cadeau de mariage.

Pièces maîtresses du Musée juif de Vienne

Les netsuke sont désormais l’une des pièces maîtresses du Musée juif de Vienne où ils resteront exposés durant les prochaines années.

 

-L’artiste anglais Edmund de Waal, descendant de la famille Ephrussi, s’exprime lors de l’inauguration d’une exposition sur la collection de la famille Ephrussi, au musée juif de Vienne, en Autriche, le 5 novembre 2019. – Des membres de la famille Ephrussi sont rentrés à Vienne en novembre pour leur première réunion depuis plus de huit décennies pour assister à l’ouverture d’une exposition sur leur histoire de famille. Photo de JOE KLAMAR / AFP via Getty Images.

Le retour « à la maison » de cette collection n’a rien d’un happy end romanesque, met en garde Edmund de Waal: la saga des Ephrussi reste à ses yeux « une histoire ouverte » qui fait écho au présent.

« C’est un moment terrible en Europe pour être en exil, pour les réfugiés, pour la rhétorique antisémite, et nous revenons à Vienne avec le sentiment très fort de ce qui se passe en Europe », observe-t-il.

Une partie de la collection de netsuke a été récemment vendue par la famille au profit des réfugiés.

Le palais Ephrussi, restitué à la famille en 1949, s’est à l’époque péniblement vendu 30.000 dollars, dans une ville à l’économie ruinée par la guerre. Il a longtemps abrité le siège du groupe Casino Austria.

Vétéran de la réunion Ephrussi de Vienne, Victor de Waal, le père d’Edmund, citoyen britannique âgé de 90 ans, y a confié son souhait de demander la nationalité autrichienne en vertu d’une récente loi qui facilite la procédure pour les descendants des victimes de persécutions nazies. Un geste qu’il dédiera à son grand-père Viktor, « mort en exil et apatride ».

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