Frère cadet d’un « bienheureux », adjoint de l’évêque d’Oran au moment de sa mort, père-maître d’un moine de Tibéhirine au noviciat: à Oran, ils ont partagé avec l’AFP leurs souvenirs de quelques uns des 19 religieux assassinés en Algérie et béatifiés samedi.
– Henri Vergès, par son frère Pierre Vergès
Henri Vergès ne « venait que tous les 2-3 ans en France », se souvient son frère Pierre, 81 ans. « C’était un sévère avec lui-même, il ne prenait pas des vacances facilement », dit-il. « A mesure que le temps passait, il savait qu’il y avait des risques, mais il s’en remettait à la providence », raconte-t-il. Le convaincre de rentrer? « Non, il y avait des sujets sur lesquels on pouvait lui faire entendre raison, mais là c’était trop sérieux ».
« Il était là-bas par vocation, tant que la réalité l’imposait, il allait de l’avant », résume son cadet de sept ans. Il n’est pas resté en Algérie « par attrait, c’était un austère », mais parce qu’il « voulait être là où il y avait des nécessités ». Samuel Vergès, fils de Pierre et neveu d’Henri, se souvient d’un « oncle qui arrivait d’une autre planète » à chaque retour en France.
Il se rappelle également du « choc pour la famille », alors qu’il était encore adolescent, à l’annonce de l’assassinat de son oncle, abattu en mai 1994 dans sa bibliothèque de la Casbah d’Alger. « Tout le monde était conscient des risques mais ce fut le premier religieux (chrétien) à être assassiné en Algérie », souligne-t-il.
-Monseigneur Pierre Claverie, par son vicaire général le père Thierry Becker
Le principal souvenir que garde le père Thierry Becker, curé d’Oran depuis 1962, de Monseigneur Pierre Claverie, alors évêque d’Oran, c’est « la manière dont il parlait avec vérité et humilité ». Mgr Claverie « savait accueillir tout le monde et chaque personne qu’il accueillait était la plus importante de la journée », explique celui qui fut son vicaire général (adjoint) pendant sept ans et jusqu’à sa mort.
« Il disait que nos mots sont empreints de toute une histoire (franco-algérienne) qui les déforme », mais pour lui, « il ne s’agissait pas de mettre de côté ce qui nous sépare, mais de s’accueillir les uns les autres avec respect ». Le curé de 84 ans se souvient que « bien sûr, on avait peur, à l’époque » de la guerre civile en Algérie, mais « l’expérience montre qu’il y a une force plus forte que la peur, pour nous c’est la présence du Seigneur Jésus dans notre vie ».
Comme Mgr Claverie, le père Becker n’a lui non plus « jamais » pensé à partir: « Pourquoi aurais-je dû quitter ceux auprès de qui je me suis engagé alors qu’eux sont dans la détresse? »
-Frère Christophe, moines de Tibéhirine, par la sœur Bénédicte de la Croix
Le père Victor Bourdeau, 82 ans, fut le père-maître (le responsable des novices) du frère Christophe, un des moines de Tibéhirine, lors du noviciat de ce dernier à Tamié, abbaye cistercienne des Alpes françaises. « Christophe, c’était un passionné: en 1968 il a abandonné la religion entièrement, avant d’y revenir, entièrement », à travers les pauvres et l’abbé Pierre, se souvient-il. « Quand il faisait quelque chose il le faisait entièrement ».
« Ce qui me rattache à lui, c’est d’être resté avec les populations dans des épisodes de violences », estime le père Bourdeau qui a connu la violence dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) en 1996, « année de l’assassinat » de Christophe, note-t-il. « Pour les frères, ce n’est pas de l’héroïsme, quand on vit avec une population qui souffre, on reste avec elle », affirme celui qui est désormais abbé de Tamié.
A ses côtés, se tient sœur Bénédicte de la Croix, 60 ans. Alors qu’elle était professeure de philosophie, cette Cistercienne est « entrée en religion » en 2000 après avoir « rencontré les écrits de Frère Christophe », auteur d’une abondante correspondance et de poèmes.
Frère Christophe était « un homme amoureux de Dieu », dit-elle. « D’habitude les hommes ont dû mal à le dire, par pudeur, lui le disait ouvertement ». « C’est devenu mon grand frère », confie-t-elle dans un grand sourire.
D.C avec AFP
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